En l’honneur du Jour Martin Luther King Jr., Nadia Theodore, consule générale du Canada à Atlanta, a prononcé une allocution lors du Holiday Tribute de l’État de Géorgie qui s’est tenu au Capitole. Dans une déclaration publiée avant l’événement, elle a affirmé : « Comme femme noire ayant été nommée diplomate de haut rang du Canada pour le Sud-Est des États-Unis, basée à Atlanta, j’aspire à suivre l’exemple de leadership, d’intégrité et de force d’âme du Dr King, et j’épouse son engagement envers la poursuite de la justice et du respect des droits de la personne, non pas pour un groupe marginalisé en particulier, mais pour tous. Lisez toute son allocution ci-dessous sur la façon dont le Dr King et son héritage ont influencé les Canadiens et notre propre quête vers une plus grande inclusion et une société juste.
Honorables invités, chers amis, mesdames et messieurs. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude au Dr Martin Luther King Jr. Advisory Council et au sénateur Jones de m’avoir invitée à participer à cet événement remarquable.
Pour avoir toujours été tellement chaleureuses et accueillantes envers moi personnellement, et pour leur amitié continue avec le Canada, j’aimerais également remercier les personnes suivantes : le gouverneur Kemp et la première dame; le lieutenant-gouverneur Duncan; le caucus noir de l’Assemblée législative; et, la révérende Bernice King.
Merci représentante McLeod pour cette généreuse présentation. C’est gratifiant de rencontrer continuellement des Canadiens comme vous ‒ et comme Ruby Velle, la chanteuse de notre hymne ‒ qui apportent une contribution unique aux entreprises politiques, culturelles et commerciales des États-Unis.
C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui. Je suis née à Ottawa, en Ontario, de parents qui ont immigré au Canada depuis Sainte-Lucie, une petite île des Caraïbes, alors qu’ils étaient jeunes adultes. Mon père a grandi à l’extrémité sud de l’île, au sein d’une famille de cinq, dans une maison d’une seule pièce. Il a pu fréquenter la meilleure école secondaire de Sainte-Lucie (dans le nord du pays), grâce à une bourse de frais de scolarité qu’il avait obtenue et à la générosité d’une famille qui a accepté de l’accueillir chez elle pendant l’année scolaire, de même que d’assumer les frais qui n’étaient pas couverts par sa bourse.
Cette combinaison de travail acharné et de bienveillance de la part d’étrangers s’est poursuivie, alors qu’il a obtenu une bourse pour aller d’abord dans l’État du Michigan, ici aux États-Unis, en vue d’obtenir son premier diplôme, puis au Canada, où il a décroché une maîtrise, s’est implanté et a fait sa vie. Cette famille de Sainte-Lucie, qui a accueilli mon père, avait une fille qui est devenue plus tard l’épouse de mon père, sa partenaire pour la vie, et ma mère.
Je vous révèle cela non seulement pour vous donner une idée de l’histoire de mes origines qui me permet de me tenir devant vous tous en tant que cheffe d’une mission diplomatique de mon pays auprès de notre plus important partenaire international, mais aussi pour souligner comment un petit geste, un acte de bonté ou un geste d’une communauté bien-aimée peut avoir des répercussions, non seulement à travers les jours, les semaines et les années, mais aussi à travers les générations
Pour moi, il s’agit là de l’exemple le plus convaincant du lien qui unit le Canada avec le mouvement des droits civils aux É.-U. et le Dr King. Les actions des Afro-Américains et du Canada pendant le mouvement ont défini les relations entre nos deux pays et se sont répercutées à travers les générations.
Je m’adresse à vous aujourd’hui à cause d’une conversation fortuite que j’ai eue l’an dernier avec le sénateur Jones au sujet du Chemin de fer clandestin. Nous avions alors discuté de la façon dont le Canada symbolisait l’espoir pour les Afro-Américains asservis, à une époque où la liberté leur semblait inaccessible. Permettez-moi de partager les propres paroles du Dr King sur ce qu’il a appelé la relation historique singulière entre les Noirs américains et les Canadiens. (traduction libre)
Au cœur de notre histoire de lutte pour la liberté, le Canada a été l’étoile Polaire. L’esclave noir, privé d’éducation, déshumanisé, emprisonné dans des plantations cruelles, savait que, loin au nord, existait une terre où un esclave en fuite pouvait trouver la liberté s’il survivait aux horreurs du voyage. Le légendaire Chemin de fer clandestin commençait dans le Sud et se terminait au Canada. La route de la liberté nous rassemble … Ciel était le mot pour signifier Canada, et le Noir chantait l’espoir qu’il y serait amené par sa fuite sur le Chemin de fer clandestin. (traduction libre)
À cette époque, l’esclavage était illégal au Canada, et il n’y avait pas de lois en vigueur pour protéger les propriétaires ou les marchands d’esclaves, de sorte que c’était l’endroit le plus sûr pour un esclave en fuite. La province de l’Ontario avait la plus grosse population d’esclaves libres, un nombre estimé à environ 17 000. Beaucoup d’entre eux sont entrés dans cette région du Canada via l’Ohio ou New York, après avoir accompli le difficile voyage depuis le Sud.
Cette imbrication de nos peuples et de notre passé est un volet essentiel de l’histoire du Canada et de l’histoire de la réussite des Noirs au Canada. En effet, des décennies après que des Afro-Américains eurent trouvé refuge au Canada, certains Canadiens noirs de premier plan ont cherché des débouchés ici aux États-Unis, après avoir été privés de toute opportunité chez eux.
Découragé par le racisme systématique et institutionnalisé qu’il avait subi dans l’est du Canada, le journaliste, militant des droits civils et premier avocat noir à être né au Canada Abraham Beverly Walker a déménagé sa famille à Atlanta pour une certaine période dans l’espoir de trouver une place parmi la classe moyenne noire qui était en pleine croissance dans cette ville. L’an dernier, au Canada, il s’est vu décerner l’Ordre du Nouveau-Brunswick, 110 ans après sa mort.
Puis, il y a l’entrepreneure Viola Desmond qui a étudié à New York à l’école Madame CJ Walker, parce que les établissements canadiens de coiffure qui étaient dirigés par des Blancs n’accueillaient pas d’étudiantes noires. Viola Desmond est connue comme la Rosa Parks du Canada pour avoir été arrêtée après son refus de quitter un espace réservé exclusivement aux Blancs dans un cinéma de la Nouvelle-Écosse ‒ neuf ans avant que Rosa Parks revendique son siège. En 2010, le gouvernement du Canada a présenté ses excuses et a réhabilité Viola Desmond, maintenant décédée. Aujourd’hui, elle est l’effigie sur le billet de dix dollars du Canada.
Ainsi, dans le cheminement du Canada vers le plein respect des principes qui nous définissent en tant que pays dans le monde ‒ la diversité comme force et l’inclusion comme choix délibéré ‒, nous avons été inspirés à maintes reprises par nos voisins.
La haute estime que le Canada porte au Dr King ne se limite pas à l’héritage qu’il a laissé après son assassinat. Durant sa vie, sa philosophie a beaucoup retenu notre attention.
En 1967, l’année du centenaire du Canada, on a demandé au Dr King de prononcer les Massey Lectures de la Canadian Broadcasting Corporation. Le programme se poursuit aujourd’hui et est une série annuelle de discours sur un sujet politique, culturel ou philosophique qui sont prononcés par un expert éminent. Cette série a été créée en 1961, en hommage à Vincent Massey, un gouverneur général du Canada, pour son travail de promotion de la culture et des sciences humaines.
Pendant la période difficile et les bouleversements de 1967 aux É.-U.‒ cet été-là, d’importantes émeutes ont éclaté à Detroit et à Newark –, le Dr King était le choix idéal pour cette série de conférences influentes. La jeune productrice canadienne de radio Janet Somerville a supervisé la participation du Dr King et a travaillé directement avec lui pour s’assurer que sa conférence couvrait honnêtement la portée du déclenchement des émeutes aux É.-U. et l’importance pour les citoyens, non seulement des É.-U., mais aussi du Canada et du monde entier, de ne pas s’excuser et de travailler sans relâche à la réalisation de l’égalité raciale et économique.
Comme Janet le relate, en plus d’être passionné par la nécessité d’apporter des changements dans son pays, le Dr King était aussi un patriote. Critiquer les É.-U. en s’adressant à un autre pays semblait peu judicieux. Imaginez ceci : une Canadienne blanche de 28 ans, catholique, productrice néophyte faisant des remarques au révérend, philosophe et militant afro-américain accompli qui a dix ans de plus qu’elle…
Mais elle l’a fait. Le message était trop important pour qu’elle ne le fasse pas. Et l’influence du message a dépassé de loin les frontières des États-Unis d’Amérique. Qu’est-ce que je veux dire par là ?
Eh bien, par exemple : en 1961, à la suite d’un voyage à Toronto où il avait parlé dans une autre émission de la CBC, le Dr King a voulu passer des vacances avec sa famille au parc national du Canada Fundy, dans la province du Nouveau-Brunswick, dans l’est du Canada. L’ami du Dr King qui devait l’accueillir a écrit à l’aubergiste de l’endroit où ils souhaitaient séjourner. La lettre disait ceci : « L’histoire du Canada étant ce qu’elle est, nous sommes convaincus que vous allez bien les traiter, mais nous voulons nous en assurer… Les amis dont je parle sont un excellent ministre noir et son épouse. »
La réponse qu’il a reçue de l’aubergiste indiquait pour sa part : « Un grand nombre [d’invités] viennent des États de la Nouvelle-Angleterre, ainsi que des États plus au sud. Pour cette raison, nous pensons qu’il serait préférable de ne pas accueillir vos amis. »
Et dans le Canada de 1967, le système des pensionnats ‒ des établissements, parrainés par le gouvernement, qui avaient été établis pour assimiler les enfants autochtones dans la société eurocanadienne; plus de 6 000 enfants autochtones sont morts sous ce système ‒ venait d’être aboli. Cependant, cette pratique odieuse a ensuite fait place à ce que l’on a appelé la « rafle des années soixante », au cours de laquelle des milliers d’enfants autochtones ont été « appréhendés » par les services sociaux et retirés de leurs familles.
Le message sur l’importance de l’égalité raciale et économique avait priorité sur l’image des États-Unis. Le Dr King l’a compris. Il a suivi les conseils de la jeune Janet.
Il a redoublé d’efforts et travaillé avec l’équipe de la CBC pour livrer des enregistrements qui transmettaient ses urgentes convictions sur le racisme et la pauvreté. Le Dr King a parlé de sa nouvelle vision du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis comme étant un volet de la lutte internationale pour la liberté et contre l’exploitation économique des pauvres et des personnes privées de leurs droits.
La diffusion de ces cinq conférences, intitulées Conscience for Change, a commencé en novembre 1967 et s’est terminée la veille de Noël. Disponibles aujourd’hui sous forme de livres et sur YouTube, ces conférences sont considérées par certains experts de King comme l’une des meilleures synthèses de sa pensée mature.
En tant que diplomate, je suis particulièrement stimulée par l’un des messages clés de ces conférences : les gens doivent transcender les frontières de la race, de la tribu, de la classe et de la nation. « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, ou nous allons tous périr ensemble comme des imbéciles » (traduction libre), a affirmé le Dr King. Cela demeure tout aussi vrai aujourd’hui.
Il semble que le monde soit devenu de plus en plus conflictuel. J’attribue cela à une réticence à parler à des gens qui ont des points de vue différents, et à les écouter. Le monde de la diplomatie, de la négociation, c’est justement d’écouter les différentes parties à un problème et d’essayer de trouver des solutions qui permettront à toutes les parties de clore les discussions avec le sentiment d’avoir gagné quelque chose.
Le travail que font les diplomates partout dans le monde contribue vraiment au maintien d’un ordre international fondé sur les règles, ce qui est essentiel pour bâtir et maintenir la paix et la prospérité dans le monde entier.
De toute évidence, le Dr King était satisfait de la façon dont les conférences Massey se sont déroulées. Au début de 1968, il a téléphoné directement à Janet Somerville et lui a demandé de retourner à Atlanta pour travailler avec lui comme rédactrice de discours. Elle a refusé, étant donné qu’à ce moment-là, elle était la principale proche aidante de sa mère malade. Quelques mois plus tard, le géant des droits civils a été assassiné.
Leur collaboration a exercé une influence énorme sur Janet. L’expérience lui a permis d’éclaircir le fait que sa mission était au sein de l’église plutôt que dans la radiodiffusion. Elle est devenue une conférencière et écrivaine de premier plan, mettant l’accent sur la foi et la justice sociale. Elle a été la première femme et la première personne de confession catholique à occuper le poste de secrétaire générale du Conseil canadien des Églises.
Et en 2003, elle a été décorée de l’Ordre du Canada, la plus prestigieuse distinction honorifique de mon pays, pour la promotion qu’elle a fait, sa vie durant, de la compréhension interconfessionnelle, des droits de la personne et de la paix. Quand j’ai entendu cette histoire ‒ un autre exemple de la manière dont le peuple et le passé de nos pays sont imbriqués ‒, cela m’a beaucoup touché.
Enfant et adolescente, j’admirais la foi et la résilience du Dr King, particulièrement sa stratégie d’action non violente. Aujourd’hui, étant l’une des rares femmes de couleur et la seule femme noire à représenter mon pays à l’étranger comme chef d’une mission diplomatique, j’aspire à suivre l’exemple de son leadership, de son intégrité et de sa force d’âme. Je souscris à son engagement à poursuivre la quête de la justice et du respect des droits de la personne, non pas pour un groupe marginalisé en particulier, mais pour tous.
Comme dirigeante et gestionnaire, j’admire sa capacité à trouver de la valeur dans la vision d’un subordonné, alors même qu’il était à l’apogée de son pouvoir et de son influence. J’espère, moi aussi, avoir le courage, l’humilité et la confiance nécessaires pour accepter la critique au profit de l’intérêt commun. Le leadership exige le courage de parler et l’humilité d’écouter.
Aujourd’hui, les voix de la xénophobie et de l’exclusion rivalisent pour influencer l’ordre du jour politique sur une foule de problèmes mondiaux complexes. Parallèlement, des problèmes persistants liés à la pauvreté, aux conflits et aux violations des droits de la personne restent profondément enracinés dans la discrimination et dans d’autres formes d’exclusion. Face à ces réalités contemporaines, nous devons travailler ensemble et choisir délibérément de promouvoir et de faire progresser des politiques équitables et des attitudes inclusives qui appuient vraiment la diversité.
Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et, si nous avons la détermination de tirer parti de ces expériences, l’impact sera important. Comme l’indique la citation de Jennifer Baichwal ‒ théologienne, philosophe et cinéaste canadienne primée ‒ sur mon t-shirt : a shift in consciousness is the beginning of change (Une prise de conscience est le début du changement). Et cela commence au plus bas niveau ‒ un adulte qui respecte les souhaits d’un enfant; un musulman et un chrétien qui trouvent un terrain d’entente; un grand homme qui apprend auprès d’une jeune femme qui cherche encore sa voie; un Étatsunien qui écoute un Canadien ‒ comme vous l’avez tous fait aujourd’hui.
Je vous remercie. Je vous invite tous à vous joindre à moi pour une réception qui se tiendra dans l’aile sud à 14 h 45. Nous aurons de délicieuses friandises canadiennes, ainsi qu’une vidéo préenregistrée de Janet Somerville qui relate son expérience auprès du Dr King. Merci.